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Hanami : Les cerisiers en fleurs de Tokyo

Hanami : Les cerisiers en fleur de Tokyo

東京の花見

2 avril 2017

The full blossom of the evening

J'ai décroché mes photos du mur. Je reconnais à peine ma chambre. Les meubles ont retrouvé leur place d'origine, et le gérant de la sharehouse est passé. Il m'a rendu ma caution. Mes photos ne sont plus sur les murs. Demain je serai dans l'avion. Je ne veux pas y penser, il me reste encore quelques heures. En sortant, je jette un dernier coup d’œil. Une curieuse sensation ; c'était chez moi, j'avais commencé à construire quelque chose ici, un semblant de vie que j'ai toujours su éphémère. Je ne suis pas parti, pas encore, mais c'est que ces murs sont vides, si vides, maintenant que ces photos ont disparues.

Il y a cette boule dans mon ventre. Quelque chose d'incontrôlable, d'irrationnel. Comme si chacun de mes choix était désormais plus déterminants qu'auparavant. Parce que ce sont les derniers de ce voyage. Trois mois, ça me paraissait si long lorsque je suis arrivé. C'est si court pourtant. J'aurai au moins la chance de pouvoir voir les cerisiers en fleurs. Ça n'était pas une certitude, je savais que je risquais de devoir faire face à la frustration de partir avant le début de la floraison de ces fameux cerisiers. Par chance, ce dernier jour passé au Japon marque le début du Hanami.

Je choisis Ueno, à quelques minutes de chez moi. Je suis allé si souvent marcher dans cet immense parc, je me revois encore découvrir son lac, envahit par des dizaines de pédalos en forme de cygne, le lendemain de mon arrivée à Tokyo. Que ça doit être beau en pleine floraison, avais-je pensé. 30 minutes de marche depuis chez moi, je m'y suis parfois retrouvé sans avoir l'intention de m'y rendre. Mais aujourd'hui je décide de prendre le métro, cette boule dans mon ventre me presse, m'oppresse, je ne dois pas perdre de temps. Mauvaise idée... Je n'ai jamais vu les rames bondées à ce point.

Les cerisiers en fleurs à Ueno

J'en avais presque oublié qu'on était dimanche. Aller voir les cerisiers en fleurs un dimanche au premier jour du lancement du Hanami n'est certainement pas le choix le plus judicieux. Encore aurait-il fallut avoir le choix. Je n'aurais jamais cru qu'il serait si difficile de sortir de la gare. J'ai pourtant connu la foule des heures de pointes et ces gens qui entrent encore dans le métro quand tout portait à croire qu'il ne serait plus possible à une souris de se frayer un chemin à l'intérieur de la rame. Mais faire face à la même foule à l'extérieur et devoir attendre en file indienne pendant 20 minutes pour enfin se retrouver sur le trottoir, il ne m'était pas venu à l'esprit que cela soit possible.

La foule est la même partout. Il va falloir m'y faire. Et faire avec cette boule dans mon ventre qui voudrait aller vite pour profiter de cette dernière journée au Japon, je comprends très vite qu'il me faudra faire preuve de patience et accepter de piétiner toute la journée.

Dans les allées principales du parc, je découvre enfin les cerisiers. Ce n'est pas la première fois que je vois des cerisiers en fleurs, après tout il y en a bien en France et personne n'y fait vraiment attention. Mais nos allées sont bordées de platanes, et nous n'avons pas l'occasion de voir les fleurs des cerisiers s'épanouir au dessus de nos têtes sur des kilomètres. Le spectacle est grandiose et je me laisse gagner par l'enthousiasme et la bonne humeur de ces japonais qui se retrouvent pour fêter l'arrivée du printemps autour de cet évènement éphémère qui les fascine chaque année.

Les cerisiers sont devenus les stars de ces milliers de paparazzo qui brandissent fièrement leurs appareils photos en direction des fleurs qui ont commencé à éclore. Je m'amuse de voir des retraités sortir leurs appareils argentique pour l'occasion. S'ils renouvellent l'exercice chaque année, ils doivent pouvoir retracer la pousse de ces cerisiers depuis de nombreuses décennies.

Un groupe de jeunes japonais m’interpelle. Assis sous des arbres, l'un d'eux me propose de les rejoindre et de partager une bière avec eux. Il est 10h30 du matin, je ris. Eux semblent prendre la boisson très au sérieux et ont apparemment commencé à boire depuis un moment déjà. Je continue à me faufiler lentement dans la foule. Luigi a décidé de prendre une pause dans son éprouvante carrière de plombier et fume une cigarette près des poubelles, des collègues se retrouvent en dehors du travail pour partager un buffet étalé sur des cartons, non loin d'un salon de thé pour figurines installé dans l'herbe... Observer les gens s'avère tout aussi fascinant que de regarder les fleurs.

Les photographes professionnels sont aussi de sortie. La presse est là, les caméras des chaînes de télévision tentent de se frayer un passage pour filmer l'évènement et interviewer quelques passants. Selon une amie japonaise, c'est l'éphémérité qui fascine. Un peu trop de vent, de la pluie qui tombe au mauvais moment, et les fleurs disparaissent. J'ai l'impression de comprendre. J'éprouve la même fascination pour la neige, si incertaine et éphémère là d'où je viens.

Embouteillages à Harajuku

Je n'ai que ce jour là, c'est tout ce qu'il me reste. Alors je ne veux pas me contenter d'Ueno. Je veux voir les cerisiers en fleur de le parc de Yoyogi, de l'autre côté de Tokyo. Mais lorsque je sors du métro à Harajuku, je suis attiré par Takeshita Dori, comme à chaque fois. Je veux descendre cette rue, une dernière fois, hésiter à n'en plus finir en regardant les innombrables garnitures proposées par les crêperies, et croiser des cosplays improbables tout en entendant le dernier morceau à la mode résonner en rythme avec mes pas.

Quelle erreur... Je me retrouve très vite dans un véritable embouteillage humain. Des policiers font la circulation, apparemment. Je n'y comprends pas grand chose. Je suis perdu dans un océan de personnes, je ne peux rien voir, plus bouger. Impossible d'avancer, impossible de reculer... Quand je finis par trouver une brèche, je me dépêche de prendre une rue adjacente pour m'en aller. Même là il y a du monde. Que les gens sont lents... Vous ne pouvez pas voir que je suis pressé ? C'est mon dernier jour ! Mon dernier jour... Pourquoi suis-je venu perdre mon temps dans cette rue...

Les cerisiers en fleurs de Yoyogi

Quelques mètres plus loin, la même galère à nouveau, pour accéder au parc de Yoyogi. Immobile, au milieux de la foule qui avance ou n'avance pas sur le trottoir, pour entrer au goutte à goutte dans le parc. Devant les grilles d'entrée, les danseurs du club de rockabilly de Tokyo sont en pleine chorégraphie, comme tous les dimanches. Les retrouver me donne le sourire. Des japonais de tous les ages, filles et garçons coiffés et habillés comme Elvis Presley, dansent un drôle de rock-&-roll qui semble avoir emprunté quelques figures au hip-hop. Vu le monde qui défile, c'est probablement le jour de l'année le plus important pour eux.

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Le parc Yoyogi début mars, vide, puis le dimanche 3 avril, au début du Hanami

Le parc ne ressemble plus en rien à cet immense bout de nature très tranquille que je connaissais. Mais je finis par m'habituer à cette foule omniprésente, dans le fond ça n'est pas si désagréable. L'ambiance est joyeuse, les gens font la fête. Des stands de nourriture sont apparus un peu partout dans le parc. Dans de grands bacs, des bouteilles baignent dans de la glace pilée. De la simple bouteille d'eau à des canettes de bière, en passant par toutes les boissons étranges que seul le Japon ose mettre dans ses rayons. Je décide de prendre la seule boisson que je n'ai jamais vu et dont j'ignore tout. Après trois gorgées je suis certain de ne pas la finir, et de ne jamais pouvoir deviner ce qu'il y avait dedans, ni ce à quoi cela devait avoir goût.

Le parc est immense, j'ai l'impression d'en redécouvrir chaque parcelle. Tout a été pensé pour pouvoir accueillir ce rassemblement spontané, inévitable, qui se reproduit chaque année. Des toilettes ont été installées, des allées de poubelles ont déjà commencées à se remplir, et des bâches recouvrent le sol aux abords des cerisiers. Je n'ai jamais vu les habitants de Tokyo aussi accueillants, on m'adresse la parole sans que je n'ai à faire le premier pas, le gens sourient, rient, jouent, partagent spontanément. Les pétales de cerisiers ne tombent pas, pas encore, elles fleurissent tout juste. Mais dans les airs, des bulles de savon volent un peu partout et viennent renforcer un peu plus encore cette atmosphère de festivité.

Des jeunes montent dans les arbres pour s'assoir au milieu des cerisiers en fleurs. Mais tout le monde respecte la règle : on ne touche pas aux fleurs, on n'en cueille pas, on ne les fait pas tomber, on prend soin de respecter la nature et de la laisser s'épanouir à son propre rythme.

Des notes de musique parviennent à mes oreilles, des musiciens expriment à leur manière le retour du printemps. Partout, les gens continuent à prendre des photos de ces fleurs de cerisier, tentant d'immortaliser l'éphémère. Je sais que j'ai déjà pris des centaines de photos de ces fleurs, mais je cède encore à la tentation d'approcher mon objectif de ces pétales roses et blanches. Il y a quelque chose d'assez fascinant à prendre ces fleurs en photo. Elles ont beau se ressembler, elles ne sont jamais identiques, il y a tant à faire avec le cadre, jouer avec la lumière...

J'ai fini par oublier que j'étais pressé, par oublier que je m'en allais demain, Je suis là, maintenant, et ces fleurs sont belles.

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