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Ziyoou Vachi : Concert de la reine des abeilles

Concert de la reine des abeilles

女王蜂のライブ

30 Mars 2017

A la découverte d'un groupe de rock japonais

Quelques semaines plus tôt, au hasard d'une rencontre dans un petit restaurant d'onigiris, deux jeunes filles me parlaient avec enthousiasme de leur groupe préféré. 女王蜂, littéralement "la reine des abeilles". Le chanteur (devrais-je dire chanteuse ?) joue sur l'ambiguïté de son sexe, autant dans l'apparence que dans la voix. Habillée tour à tour en homme ou en femme, sa voix se fait masculine ou féminine au gré de son envie, allant même jusqu'à faire un duo avec elle même. Si le ton est parfois un peu trop pop pour moi, certains morceaux renferment la folie d'un rock violent qui part dans tous les sens, ça me plaît. Je me plonge dans le répertoire du groupe pendant plusieurs semaines.

Et puis, au détour d'une recherche sur le net, je découvre qu'ils seront en concert à Tokyo quelques jours avant que je ne parte. Je me dirige vers le konbini le plus proche de chez moi et je me retrouve à devoir décrypter les kanjis qui apparaissent sur la machine pour réserver mon billet. Une aventure en soi. Les machines automatiques sont traduites en anglais pour les opérations de tous les jours, mais pour acheter une place de concert c'est une autre affaire, et je dois parfois deviner sans grande certitude les boutons sur lesquels je dois appuyer. Mais la victoire n'en est que plus satisfaisante.

Le jour venu, trouver la salle de concert n'est pas beaucoup plus facile. Je sais que je ne suis pas très loin, mais je suis perdu. Sur un bord de trottoir, je me tiens devant une carte du quartier à essayer de m'y retrouver. Le serveur d'un bar vient gentiment me proposer son aide. Il cherche avec moi et finit par m'indiquer où aller.

Le bâtiment, à deux rues de là où je m'étais arrêté, semble perdu entre deux buildings. Personne ne fait la queue, je ne vois personne entrer...

Quelqu'un se tient devant, gilet jaune fluo, je n'arrive pas à savoir s'il est là pour faire la circulation ou s'il fait partie du staff. Il me renseigne très gentiment ; je peux entrer pour patienter, ou bien revenir plus tard. On commence à faire entrer les gens à 18h. L'endroit me semble bien trop vide, je préfère revenir. J'ai un peu faim et j'avais repéré une boutique de takoyakis un peu plus loin.

Lorsque le reviens, tout me semble toujours aussi calme. Il est pourtant 17h45 et je ne vois personne. Je pénètre à l'intérieur de la Liquidroom, un peu nerveux, il faut dire que les concert en France m'ont habitué à autre chose que des salles de concert aux entrées désertes. Rien ne me laissait présager de la foule que j'allais trouver à l'étage. Des gobelets de bière circulent de main en main, des gens font la queue devant un stand de marchandising, pendant que d'autres se pressent autour des casiers pour y laisser leurs affaires qui les encombreraient pendant le concert. Je retrouve une ambiance beaucoup plus proche de ce dont j'ai l'habitude, les nuages de fumée de cigarette en plus.

Je range moi aussi mon sac dans un casier et quelques minutes plus tard, on commence à appeler des numéros. Aucune raison d'arriver des heures en avance et de faire le pied de grue devant la porte d'entrée dans l'espoir de se trouver au premier rang : on entre en fonction du numéro de sa place. J'ai la place numéro 649, il va me falloir être patient. Je suis surtout bien content de pouvoir comprendre les nombres en japonais . Mais au final mon numéro arrive plus vite que je ne l'aurais cru, leur système s'avère efficace. Je peux enfin entrer dans la salle de concert.

Rei : la première partie

Deux sur scène. Elle à la guitare, lui à la batterie. Je ne savais pas qu'il y aurait une première partie, je ne m'attendais à rien. Encore moins à ça. Un blues-rock d'une puissance incroyable. La guitare, maîtrisée avec classe, vibrante de fuzz et de distorsions délicieuses à mes oreilles, rugit dans la salle et s'attarde sur des gimmicks efficaces qui font s'emballer mon rythme cardiaque. Si longtemps... Si longtemps que je n'étais pas entré dans une salle de concert... Est-ce pour ça que des larmes se forment au coin de mes yeux ? Ça ne peut pas être un hasard. Ce groupe est un concentré de ce que j'aime. Un concentré de ce que j'ai voulu faire. Ça me manque. Je suis pris d'une folle envie de torturer ma guitare et de crier dans un micro. En serais-je seulement capable à nouveau ?

Je voudrais sauter partout, laisser mes émotions s'exprimer au rythme de cette musique qui ne me correspond que trop bien. Mais personne ne bouge. Le public est calme. Attentif, mais calme. Ça ne me surprend pas, c'est bien l'image que j'avais d'un public japonais. Mais j'étais sur le point de découvrir que j'avais profondément tort...

Ziyoou-vachi : quand la reine des abeilles réveille sa ruche

Lorsqu'Avu-chan entre sur scène, des cris hystériques parcourent la salle et je suis pris dans un mouvement de foule qui me rapproche de la scène. On ne se pousse pas vraiment, on est au Japon. Mais la volonté de s'approcher déborde un peu sur la lourde tradition de respect des règles. Les premières notes s'envolent dans les airs, et je redécouvre le plaisir d'assister à un concert dont je connais le répertoire.

Je me laisse emporter par l'effervescence ambiante. Je connais les morceaux par cœur et je me surprends à entonner, avec le public, quelques mots en japonais que j'ai appris malgré moi sans en comprendre entièrement le sens. Les musiciens sont bons, mais éclipsés sur scène par le charisme d'Avu-chan. Mes yeux finissent inévitablement par retourner vers sa beauté insaisissable. Sa voix, plus libre qu'en studio, sonde parfois des profondeurs ténébreuses presque effrayantes, pour redevenir enfantine en moins d'une seconde. Elle joue de l'ambiguïté sur tous les fronts. L'ambiguïté sexuelle, dans sa voix comme dans son apparence ; elle se sépare peu à peu de ses habits masculins jusqu'à révéler les portes jarretelles qu'elle cachait sous son pantalon. Mais aussi une ambiguïté plus profonde qui se lit sur son visage, ses expressions passant des plus douces aux plus sombres en clin d’œil, de mimiques sophistiquées aux gestes d'une profonde désinvolture. L'instabilité qu'elle dégage sur scène me fascine, il est impossible de prévoir ses mouvements et ses changements de style.

Et puis vient Disco. Le morceau qui a fait connaître le groupe dans l'archipel japonais. Un des morceaux les plus rocks, les plus forts, que ce groupe ait produit.

Symbole brandit fièrement par leurs fans, des éventails de plumes de toutes les couleurs s’agitent autour de moi et les règles disparaissent. Tout le monde bouge dans tous les sens, les corps se touchent, se bousculent, je suis entraîné dans des flux incontrôlables... Un concert de rock, et une ambiance qui surpasse de loin la majorité des concerts auxquels j'ai assisté jusque là. Loi, si loin de ce à quoi je m'attendais.

Bien plus tard, après être rentré en France, je découvrirai cette vidéo, quelques extraits du concert auquel j'ai assisté à la Liquidroom de Tokyo

Je me risque à sortir mon appareil photo pour conserver quelques clichés de ce moment éphémère dont je veux pouvoir garder une trace. Personne ne prend de photos. Personne, pas même avec un téléphone portable. Ce n'est que lorsque le concert prend fin et que je pars explorer un petit peu la salle que je remarque de petits panneaux interdisant clairement de prendre des photos. Ici ces simples petits panneaux suffisent, il n'y a besoin de personne pour contrôler que la consigne est bien suivie. Elle l'est, scrupuleusement. Comme pour tout.

Je suis lessivé, et je me sens bien. Je sors de la salle détendu, un sourire au coin des lèvres. J'aurai bien tenté de rester pour le concert suivant, mais les premières notes m'auront vite fait comprendre que ça n'était pas mon style du tout. Il est à peine 20h lorsque je vais chercher le métro. Les concerts commencent tôt, ils finissent tôt, mais ils ne perdent rien en intensité. Sur mes vêtements, je découvre quelques restes des éventails qui s'affolaient quelques minutes plus tôt dans la Liquidroom. Je prends délicatement ces petits morceaux de duvets rouges pour les mettre dans mon porte feuille. Un souvenir fragile de cette nuit inoubliable.

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