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Stage de Go à la Nihon Ki-in

Stage de go à la Nihon Ki-in

日本棋院の囲碁

Première partie

Quelques jours d'absence pour réaliser un rêve

Ma passion dévorante pour le jeu de Go avait refait son apparition depuis quelques semaines. Après ma visite dans un salon de Go de Tokyo je m'étais remis à jouer au Go quotidiennement, avec assiduité. Mais une occasion inattendue de réaliser un vieux rêve était sur le point de se présenter à moi. Comme souvent, cela ne tint à presque rien. Un jour, alors que je tentais de déchiffrer le site de la Nihon Ki-in, la fédération japonaise de Go, à la recherche de quelques informations sur mes joueurs préférés, je tombais sur cette annonce. Un stage d'été au cœur de la Nihon Ki-in, réservé aux étrangers. Le temps s'arrêta et je restais figé devant cette courte publicité. Pour la première fois de ma vie j'étais finalement au bon endroit au bon moment.

Mon cœur se mit à battre au fur et à mesure que je réalisais que j'avais là une occasion unique de réaliser un de me rêves d'enfant. Un garçon de 15 ans idolâtre généralement le footballer du moment, un chanteur à la mode ou le super-héro du dernier Marvel, mais à cet âge là mes héros à moi s'appelaient Takemiya Masaki, Go Seigen ou Shusaku, des joueurs japonais qui avaient marqué l'histoire du jeu de Go.

A l'excitation commença à se mêler à l'appréhension. C'était trop beau pour être vrai. Forcément. Ça allait être trop cher, ou déjà complet, ou réservé à des joueurs d'un niveau autrement plus élevé que le mien... Mais à chaque fois que naissait une question, je trouvais la réponse presque aussitôt. Le prix était incroyablement accessible, il y avait visiblement des places et le stage était ouvert à quasiment tous les niveaux.

Mais mes appréhensions se trouvèrent bientôt justifiées. Le stage tombait exactement à la fin de mes vacances. Il commençait le jour où je reprenais les cours dans mon école de japonais.

En France je connais peu d'étudiants qui auraient eu beaucoup de scrupules à rater deux semaines de cours pour aller réaliser leur rêve, mais au Japon il est bien difficile de se soustraire au règlement. Surtout lorsqu'on a un visa étudiant. La règle c'est la règle. On ne rate pas les cours. L'appel est fait tous les jours et chaque mois le pourcentage de présence de tous les élèves est affiché dans la salle de classe.

Alors je me suis efforcé de ne pas rater un seul quart d'heure de cours. J'ai fait en sorte d'avoir un taux de présence exemplaire, et je suis allé demander cette précieuse dérogation à la responsable, des goutes de sueur perlant sur mon front... Et ça a marché ! On me fit bien un peu la morale, on me demanda quelques concessions (entre autre de n'en parler à personne, mais il doit bien y avoir prescription maintenant) et j'eus l'autorisation de rater les cours pour passer deux semaines au stage d'été de la Nihon Ki-in !

Sur les traces d'Hikaru

Pour me mettre dans l'ambiance, durant cette attente qui me semblait interminable, je regardais à nouveau l'anime Hikaru no Go. Cela ne fit qu'accroitre considérablement mon impatience. Jamais je n'avais imaginé que j'aurais l'occasion de jouer à la Nihon Ki-in. Ce lieu quasi légendaire pour tout lecteur d'Hikaru no Go où ce jeune joueur en quête du coup divin avait fait ses premiers pas dans le monde professionnel du Go.

Fébrile, j'envoyais mes parties notées sur des kifu à la Nihon Ki-in. Comme Hikaru. Bon. D'accord. Hikaru envoyait des kifu à la Nihon Ki-in pour devenir insei (apprenti professionnel), pas pour participer à un stage d'été pour amateurs. Mais quand même. Tout cela me semblait complètement irréel. Quelque chose allait forcément arriver. Que ça soit un tremblement de terre qui détruirait la moitié de Tokyo ou le décès prématuré de mon chat qui me contraindrait à rentrer en France pour assister à ses funérailles, j'étais sûr que quelque chose viendrait me ramener à la réalité.

Mais il ne faut jamais douter de la puissance d'un rêve, et je lui avais donné tant de force lorsque j'étais adolescent que l'univers conspiré pour que ce jour arrive. Alors en me réveillant un beau matin, il était enfin l'heure de prendre le train et de me rendre à la Nihon Ki-in. Le cœur battant, je pénétrais dans le hall. J'étais un peu avance, mais je n'étais pas le seul. Je récupérais mon badge, les goodies bien sympathiques qu'on nous offrait, et je jetais un œil au programme que je connaissais par cœur. Et quel programme...

Takimiya Masaki jouant des parties simultanées durant le stage d'été de la Nihon Ki-in

Jouer avec des professionnels légendaires à la Nihon Ki-in

Dès le premier jour ce fut Takemiya Masaki qui vint se joindre à nous rendre visite pour donner des parties simultanées. Takemiya Masaki fait des plus grands joueurs professionnels japonais. Son style très particulier faisait fureur au près des amateurs à l'époque où j'avais appris à jouer. Son livre, Le Go Cosmique, avait même était traduit en Français. Il faisait véritablement partie de mes idoles d'adolescent, et le voilà qui était parmi nous, très décontracté et tout à fait accessible.

Je dois l'admettre, j'aurais bien aimé lui faire signer un éventail ou peu importe ce que j'aurais eu sous la main. Mais entre timidité et peur de passer pour une groupie, je me suis contenté de prendre des photos. Au fond je pense que je voulais être vu comme un joueur venu pour s'améliorer et non comme un fan qui participait au stage pour s'approcher au plus près de ses idoles. Après coup je me dis que ça l'aurait plus amusé que dérangé, mais j'étais déjà fier, en rentrant chez moi le soir, de voir son portrait figurant parmi les photos de ma journée.

J'ai peu joué le premier jour, en tout cas pas contre des professionnels. J'ai gagné ma première partie pour le tournois du stage, puis j'ai entamé une partie avec le seul autre français du groupe. Je dû partir avant la fin de la partie, pour passer la soirée à travailler dans un petit izakaya près de chez moi. Mais ce ne serait que la première des parties que nous jouerions ensemble et que nous n'amènerions pas au dénouement. Après bientôt un an à Tokyo à n'avoir quasiment aucun contact avec mes compatriotes, j'avais oublié à quel point il pouvait être agréable d'avoir une vie sociale qui ne soit pas limitée par le vocabulaire. Et pour parfaire le tout notre niveau était sensiblement similaire.

Chang, 3p, donnant des parties simultanées

Le lendemain c'est Michael Redmond qui nous fit l'honneur de sa visite. Cet américain qui a accompli l'exploit de devenir professionnel de Go à la Nihon Ki-in alors qu'il avait 18 ans. A ce jour il reste le seul occidental à avoir atteint le niveau de 9ème Dan professionnel. Figure très médiatisée dans le petit monde du Go, il avait commenté en direct les parties devenues mythiques jouées par Lee Sedol contre l'intelligence artificielle Alphago, témoin de cette victoire jusque là inédite d'un ordinateur face à un des meilleurs joueurs professionnels.

Michael Redmond est surtout un très bon pédagogue et ses cours étaient toujours clairs et passionnants (bien qu'à mon sens un peu trop souvent centrés sur les nouvelles avancées du Go provoquées par l'intelligence artificielle, mais il faut bien se faire à l'idée que c'est aujourd'hui un des sujets majeurs).

Les meilleurs joueurs ne s'avéraient pourtant pas toujours être les meilleurs professeurs. Aussi prestigieux que soit Ishida Shuho qui fut le 24ème Honinbo, je dois confier à contrecœur que sa lecture fut plutôt décevante. En revanche, tout le monde écouta Matsumoto Takehisa avec avidité lorsqu'il se mit à nous parler de son maître, le légendaire Cho Chikun.

Rires et consternation dans les studios TV de la Nihon Ki-in

S'il est indéniable que le stage m'a permis de faire quelques progrès, j'ai été pourtant surpris de constater que la stage de la Nihon Ki-in était bien moins intensif que le stage d'été de la fédération française de Go auquel j'avais déjà participé. Mais c'était un stage d'un autre type qui nous offrait des expériences tout à fait uniques.

Un soir, à la fin des cours, on nous annonce que l'un des meilleurs joueurs de groupe va affronter l'une des meilleures joueuse professionnelle du Japon et que la partie sera filmée pour être diffusée à la télévision japonaise. Certes, le Go ne passionne plus tellement les japonais mais il reste encore une émission de Go qui passe sur NHK tous les dimanches.

Les deux frères Dobranis, venus de Roumanie, avaient un niveau bien au dessus des autres participants. C'est le plus jeune des deux, Denis Dobranis, qui fut choisit pour jouer contre Ueno Asami. Deuxième dan professionnelle, à seulement 17 ans Ueno était déjà tenante du titre de Kisei féminin.

Après avoir jeté un coup d’œil dans le tout petit studio de la Nihon Ki-in, nous nous installons dans une salle d'étude. Une télé reliée au studio nous permet de suivre la partie pendant l'enregistrement.

Avant de commencer à jouer, les joueurs ont droit à une petite interview. Ueno se rappelle avoir déjà croisé Denis, lors d'une convention en Thaïlande. On demande à Denis s'il s'en souvient. "Peut-être... Mais peut-être que je ne m'en rappelle pas..." Rires étouffés sur le plateau, éclats de rires moins contenus dans notre salle d'étude. La maladresse avec laquelle le jeune occidental conclue l'interview en déclarant qu'il espère pouvoir montrer son style de Go à tous ceux qui regarderont la partie et qu'il apprendra de cette partie qu'il perde ou qu'il gagne ressemblait presque à un affront supplémentaire. Des maladresses très innocente que l'on pardonne volontiers à un jeune joueur de 17 ans qui est interviewé dans une langue qui n'est pas la sienne, mais Ueno Asami en fera-t-elle autant ?

La partie est jouée à 3 pierres de handicap pour conserver un minimum d'équité. Denis place les trois pierres sur le goban, les deux joueurs se saluent, et la partie peut commencer.

Sans surprise, Ueno Asami rattrape peu à peu le retard que lui donnaient les trois pierres de handicap ; on ne vient pas à bout d'une professionnelle aussi facilement. Dans notre salle d'étude, on rejoue la partie sur nos goban et on tente ensemble de comprendre ce qui se passe. On élabore des théories, on tente de trouver le prochain coup, de déceler les erreurs... Il est assez exaltant de se retrouver là, dans une salle d'étude de la Nihon Ki-in, à étudier une partie entrain de se jouer dans la salle d'à côté.

Mais voilà que plus on s'approche de la fin de la partie, plus les choses deviennent palpitantes. A la surprise générale, la partie est très serrée. Serait-il possible que la partie se conclue par une égalité ? Dans notre petit groupe d'étude je ne suis pas le seul à me remémorer immédiatement à ce célèbre passage d'Hikaru no Go où un jeune professionnel fait exprès d'obtenir des égalités sur les 4 parties qu'il joue simultanément. Obtenir une égalité volontairement au Go nécessite des capacités exceptionnelles et cela fait partie, à mon sens, des choses les plus fascinantes dont sont capables les professionnels.

Et la partie se conclue bel et bien par un pat. Égalité parfaite. Ueno déclarera que la partie s'est avérée plus difficile que prévu, qu'elle n'avait pas l'habitude de jouer avec des pierres de handicap. Peut-être. Ou peut-être son visage d'ange et son sourire innocent cachent-ils des crocs acérés qu'elle n'a montré que de la plus élégante des manières. Chacun se fera son avis. Une chose est certaine : ce soir là je suis rentré chez moi heureux et comblé par ma journée à la Nihon Ki-in.

Ceux qui auraient envie de voir la partie retransmise à la télévision japonaise vous pourrez la retrouver ici.

Le stage d'été à la Nihon Ki-in était encore loin d'être terminé. Moment privilégié à l'un des plus prestigieux tournois professionnels su Japon, participation au plus grand tournois amateur de Tokyo et bien d'autres surprises nous attendaient encore...

A SUIVRE

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