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Kurama : la forêt aux portes de Kyoto

Kurama : la forêt aux portes de Kyoto

鞍馬の森

23 Mars 2017

Kibune

Des feuilles d'érable rouges s'affichent fièrement sur le petit train qui me mène à Kibune. Le wagon unique s'enfonce dans la forêt et je peux aisément imaginer la beauté que ce trajet doit revêtir durant l'automne. Pour mieux profiter du spectacle, les sièges sont directement tournés vers les fenêtres latérales. De temps à autres une branche vient effleurer les vitres en face de moi. Ce doit être magnifique. Mais pour l'heure, les arbres se remettent à peine de l'hiver passé, et quelques bourgeons commencent tout juste à redonner vie à la forêt.

Ce soir, je rentre à Tokyo. Pour le dernier jour de mon séjour dans le Kansai, j'ai décidé de partir marcher dans la nature. J'ai laissé des affaires dans le casier d'une station de métro. Libre. Je descend à Kibune, au milieux de nulle part. Une rivière, un arrêt de bus, et une petite route qui s'enfonce dans la nature. J'ignore où se rendent les quelques personnes à être descendues avec moi, je vérifie mon plan à plusieurs reprise, perturbé par la solitude de mon cheminement sur le bord de cette route déserte. Au pire il me suffira de faire demi tour. Avec une route sans embranchement je ne risque pas de me perdre.

Pourtant encore au bord de la route, je me sens entouré par la vie sauvage. Je monte en pente légère dans une forêt de conifères, sur un chemin qui semble suivre le cours d'une rivière dans laquelle je peux parfois apercevoir une grue à la recherche de son repas. Livré à moi même dans une marche en solitaire, mes pensées s'aventurent sur le terrain dangereux des souvenirs douloureux. Mais la réalité concrète du paysage qui m'entoure me ramène à la simplicité de ce moment. Je suis au Japon, je marche, et la forêt autour de moi dégage cette sensation lynchéenne de mystères insondables.

Quelques maisons, me voilà en terres habitées, le village de Kibune. Un nouvel arrêt de bus, des groupes de touristes mettent fin à ma solitude provisoire. Je suis quelques personnes qui semblent savoir où elles vont, et je me retrouve à monter des escaliers bordés de lanternes rouges qui mènent à un petit temple. Quelques jeunes filles semblent refaire inlassablement le même selfie pendant que des familles s'amusent de voir apparaître leur présage en plongeant des omikujis dans l'eau limpide d'une source de montagne. L'ambiance est chaleureuse, pleine de vie. Je m'éloigne, à la recherche de mon chemin de randonnée.

Derrière un petit pont, un chemin de terre monte dans la montage. Je suis seul à nouveau, et à nouveau j'ai des doutes sur le choix de mon itinéraire. Mais un panneau indiquant Kurama me rassure rapidement. L’ascension n'a rien plus rien de douce, la pente est raide. Quelques marches de terre retenues par des planches de bois se sont affaissées au fil des ans. Je suis en plein cœur de la forêt, les conifères immenses s'élancent vers le ciel et l'odeur de sous-bois vient chatouiller mes narines.

J'arrive devant un petit temple, perdu au milieux de la nature. Drapé d'un tissus blanc je ne peux m'empêcher de me demander comment il est possible que le tissus de ce temple reste aussi propre en pleine forêt. Un couple est déjà sur place, affairés photographier le temple. Ils parlent français. Je les reconnais, hier soir ils prenaient des photos du coucher de soleil sur un temple à Kyoto. Ils ne sauront pas que je suis français et que je peux comprendre les mots qu'ils échangent. Je savoure cette place exceptionnelle d'observateur anonyme, d'étranger même pour mes propres compatriotes.

Plus loin, au cœur de la forêt, une vaste clairière est recouverte par des racines tentaculaire. Impossible de toucher le sol, mes pieds se posent sur cette impressionnante étendue de racines. Des japonaises tentent de se prendre en photo devant cette spectaculaire démonstration de force de la nature. Je leur propose mon aide. Elles acceptent, étonnées de voir un étranger baragouiner quelques mots de japonais. Au fond de cette clairière, un autre temple, plus petit, mais toujours drapé de la même manière, et toujours aussi propre. De nombreux bancs, les restes d'un feu de camp, j'imagine des bus d'écoliers venant manger leurs bentos en haut de la montagne à la belle saison.

Kurama

Le chemin commence à redescendre. Je croise un peu plus de monde, la route est plus dégagée. Des escaliers de pierre, décorés. La végétation se fait moins dense, la vue se dégage. Au milieux des montagnes, le regard pouvant se perdre dans un horizon boisé sans limites, je rencontre le temple de Kurama. Immense, il trône, bien à sa place, au centre d'une terrasse gigantesque.

Je ne connais pas la religion shintoïste. Tout juste ai-je fini par comprendre comment les japonais y vont pour prier. Un pièce, un claquement de mains, une prière les yeux fermés, visage baissé, nouveaux claquements de mains, et ils s'en vont. Qui prient-ils ? Comment se structure le monde mystique sensé exaucer leurs vœux ? J'en ignore presque tout. Mais les temples sont chargés de symboles vibrants qui imposent le respect.

Même en plein cœur de la montagne, on trouve toujours des distributeurs de boisson. J'ai fini par m'y faire, et je n'ai rien pris à boire. Je commençais à avoir soif. Bien content de trouver un distributeur près du temple, je traîne, je profite de la vue, je recharge mes batteries, tout en sirotant un jus de pomme un peu trop cher -- il a bien fallut l'acheminer jusqu'ici.

Sur ce versant de la montagne, la nature est plus maîtrisée. Le chemin se poursuit en escaliers bordés de nombreuses lanternes rouges. Je croise quelques autres petits temples, des toris, un petit pont, une cascade... Radicalement différent de mon ascension, j'ai l'impression de descendre dans un immense parc à peine sauvage. Il y a du monde. Visiblement la plupart des voyageurs se rendent au temple en montant de ce côté et repartent par le même chemin.

J'arrive rapidement à la route, au village de Kurama. Une longue route, unique, et des maisons des deux côtés. Je commence à avoir faim, mais je trouve difficilement un restaurant, et je veux encore terminer mon excursion en entrant pour la première fois dans un onsen. Ici aussi il y a un bus, mais j'ai le temps et je préfère marcher. Seul à nouveau. Je suis toujours surpris de voir les touristes se concentrer systématiquement aux mêmes endroits, il ne faut jamais bien longtemps pour se retrouver seul. Même à Kyoto. Même à Tokyo. Tout en marchant, j'hésite. L'appréhension est forte, cela fait des jours que je pense à aller au Onsen de Kurama, et je sais que je le regretterai si je ne franchis pas le pas maintenant. Dans dix jours je quitte le sol japonais, c'est peut-être ma dernière occasion.

Il me faut vaincre les dernières appréhensions de ma pudeur occidentale pour retirer mes vêtements et me retrouver nu en face de parfaits étrangers. Je prends le temps de me laver, assis à côté d'un japonais qui n'en finit pas de se savonner. Je suis dehors, en pleine nature, nu, il fait froid et j'ai hâte de laisser les eaux fumantes du bassin envelopper mon corps. L'eau est chaude, presque brulante. J'oublie très vite ma nudité et celle des autres. C'était si simple, en fin de compte. Après cette journée de marche, je sens mon corps se détendre. Quand ma tête, restée au dessus de l'eau, commence à se réchauffer à son tour, je sais qu'il est temps de sortir.

Je sais que ce soir je devrai prendre le bus pour rentrer à Tokyo, ce même bus qui m'avait amené à Osaka, la nuit sera longue et fatigante. Pour l'heure je suis au calme, je me sens propre, détendu, et je m'assois à genoux devant la table du restaurant du Onsen pour savourer mon dernier repas dans le Kansai.

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