Jouer au go au Japon
日本の囲碁
A la découverte des salons de Go japonais
Un rêve d'adolescent
J'ai appris le Go quand j'étais au lycée. Il y avait bien un jeu de go en carton qui trainait chez moi depuis que j'étais petit, quelque part, parmi les jeux de société. Mais j'avais beau trouver ce jeu fascinant, je n'y comprenais pas grand chose et je ne trouvais personne à la maison pour m'en expliquer les règles ni pour jouer avec moi. Alors il restait là, dans cette pile de jeux de société qui prenait la poussière. Jusqu'à ce qu'un jour, en explorant les rayons de la bibliothèque de mon quartier, je découvris le manga Hikaru no Go. Je me souviens avoir trouvé ça très curieux, que quelqu'un ait eu l'idée de faire une histoire qui tournait autour de ce jeu de société dont personne n'avait réussis à m'expliquer les règles. Vraiment ces japonais peuvent faire des histoires à partir de n'importe quoi... Mais j'avais été suffisamment intrigué pour emprunter le premier tome.
Je découvrais une histoire fascinante, des personnages attachants, et le monde mystérieux et si attirant du jeu de Go. Si je dis toujours que Hikaru no Go est un excellent manga qui parle merveilleusement du passage de l'enfance à l'âge adulte, et qu'il n'est pas nécessaire de s'intéresser au Go pour l'apprécier, chez moi il a déclenché une passion qui me poursuit plus de dix ans plus tard.
J'étais pris dans une soif d'apprendre et de comprendre le Go. J'attendais avec impatience le cours du mardi soir dans le club de Go de ma ville, et je rejouais des parties de professionnels sur mon goban en carton avec mes pierres en plastique. Je n'étais pas très fort, je débutais, mais je participais à tous les tournois pour enfants que je trouvais et je donnais le meilleur de moi même. J'essayais, sans trop de succès, d'apprendre à mes amis à jouer au Go, en dessinant des parties au crayon à papier sur des feuilles à carreaux pendant les cours de maths. Le Go me poursuivait même dans mon sommeil, rêvant de parties complexes dont je ne voyais pas le bout.
Et bien sûr, je rêvais du Japon, et de la Nihon Ki-in, la ligue de Go japonaise qui se trouvait à Tokyo...
Jouer au Go au Japon
Le temps est passé depuis l'époque où je pouvais rejouer des parties de Lee Chang-ho que je connaissais par cœur. D'autres passions se sont succédé, mais il m'arrivait parfois de me remettre à faire des parties en ligne et je me retrouvais à nouveau l'esprit occupé par ces formes complexes de pierres noires et blanches pendant quelques mois.
Puisque la vie m'avait amené à vivre au Japon, je me devais de réaliser ce rêve d'adolescent et d'aller disputer une partie dans un des salons de Go de Tokyo. Je m'attendais à ce que le Go fasse partie intégrante de la société japonaise. Je pensais que les grands joueurs professionnels étaient aussi admirés que les sportif de hauts niveau dans nos sociétés occidentales, que les tournois étaient largement couverts dans les journaux, que toute les universités avaient un club de Go prestigieux, que tous les japonais connaissaient les règles et savaient disputer une partie, que la plupart avaient un goban chez eux et qu'il ne fallait pas chercher bien longtemps avant de tomber sur un salon de Go en se baladant à Tokyo.
Mais il me fallut vite me rendre à l'évidence. Si la société férue de Go que je m'étais fantasmée avait jamais existé, ça devait être à une autre époque. Je suis bien tombé une fois ou deux sur une émission de Go à la télé, un petit encart mentionnait ici et là les résultats d'un tournois dans la presse écrite, mais les japonais à qui je parlais de Go ouvraient de grands yeux de poulpe puis s'excusaient de ne pas savoir y jouer. Il fallait se rendre à l'évidence, le Go n'intéresse aujourd'hui plus que les retraités asiatiques cherchant à occuper leurs journées et les programmateurs occidentaux en quête d'intelligence artificielle.
Lorsque je me mis en quête d'un salon de Go à Tokyo ce ne fut pas une mince affaire. Je n'avais pas envie d'aller trop loin, j'étais à Tokyo, hors de question qu'il me faille faire plus de trajet pour jouer au Go que lorsque j'habitais ma petite ville du sud de la France !
Après une recherche sur internet, je jetais mon dévolu sur un petit salon à Ueno. Mais il me fallut tourner trois fois autour du bâtiment puis demander l'aide de la police dans un koban des environs pour trouver l'entrée.
Dans le hall, je restais déconcerté par les prix affichés. A un peu plus de 1 000 yen l'entrée je me rendais compte que je n'avais pas choisis le meilleur timing : c'était déjà le milieu de l'après midi et une pile de devoir de japonais pour le lendemain m'attendaient dans ma chambre. Tant pis, je ne pouvais pas avoir fait tout ça pour rien.
Le jeune au comptoir ouvrit de grands yeux de poulpe, lui aussi, lorsqu'il me vit passer la porte. Dans un anglais très approximatif, il me demanda si je parlais japonais. D'un japonais à peine meilleur, je lui répondais que j'étudiais la langue dans une école. Il se détendit aussitôt, sans pouvoir s'empêcher de rire, ce n'était visiblement pas tous les jours qu'un occidental passait la porte de son salon de Go. Il me demanda mon niveau en Go et je ne su pas quoi répondre. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas joué... Franchement j'aurais pu faire quelques parties sur internet pour me refaire la main avant de venir me frotter à des joueurs japonais...
J'ai finalement disputé une partie avec un jeune dont je n'ai pas réussis à connaître le niveau. Il m'avait donné 7 pierres de handicap. 7 pierres, et j'ai lamentablement perdu. Mes erreurs me parurent grossières et cette partie désastreuse raviva en moi le désir de m'améliorer.
J'avais la ferme intention de progresser avant de revenir dans ce club. Je me remis à faire des parties en ligne tous les jours, à regarder des vidéos sur le Go, à faire des exercices avant d'aller dormir, pendant la pause entre les cours, dans le train...
Premier Dan en japonais
Je ne revins jamais dans ce petit club à Ueno. J'avais pourtant progressé, mais j'avais trouvé un autre club, à Ikebukuro. Le club était grand, agréable, en plein cœur du Sunshine City, un centre commercial démesuré. J'allais régulièrement à Ikebukuro, pour trainer entre les UFO catchers et manger des sushis bon marché dans mon restaurant préféré. J'avais pris ma carte de membre à ce club de Go et je m'y rendais tous les vendredis. Pendant plusieurs semaines je n'ai pas perdu une seule partie.
Un jour, alors qu'il n'y avait personne pour jouer avec moi, la personne de l'accueil demande à la jeune fille qui l'assistait ce jour là de jouer avec moi. Pendant qu'on s'installait et que les deux japonaises parlaient de mon niveau, je compris à demi mot leur conversation. Un mot, surtout, me fit bondir. Shodan. "Premier dan" en japonais.
On détermine le niveau d'un joueur de Go selon une échelle en kyu puis en dan. Quand un joueur débute, il commence à 30 kyu puis devient 29 kyu, 28... et ainsi de suite jusqu'à devenir 1er kyu. Lorsqu'un premier kyu passe au niveau suivant, il devient premier dan, et peut progresser jusqu'au 9ème dan qui regroupe les joueurs les plus forts.
Devenir un joueur en dan était pour moi un but en soi. Sur l'échelle de la fédération française de Go je n'avais jamais été au delà de 9 ou 8 kyu. Certes, j'avais bien progressé en étudiant le go tous les jours sur mon temps libre, mais premier dan ? J'en restais interdit. Elles faisaient une erreur, une erreur grossière, en m'évaluant ainsi. Et j'allais forcément perdre ma partie si je jouais à égalité contre une joueuse en dan...
Je tentais de cacher ma nervosité, de ne pas montrer le doute immense que je ressentais à chacune des pierres que je posais sur le plateau. Si mon adversaire pensait que j'étais premier dan il fallait qu'elle continue à le croire. Si elle venait à s'apercevoir du mal entendu elle m'écraserait impitoyablement en profitant de mes nombreuses lacunes. Mais plus la partie avançait plus les choses tournaient bien pour moi. Petit à petit, sans que je ne sache précisément à quel moment les choses ont basculées, je n'avais plus besoin de feindre mon assurance. Sans l'avoir prémédité, je me retrouve à attaquer un de ses groupes qu'elle n'avait pas voulu protéger. Les mains de la jeune fille se font hésitantes, ses coups sont lents. J'ai pris une avance considérable. "Maketa". Je relève les yeux. Mon adversaire venait d'abandonner et mon cœur se mit à battre plus fort que pendant la partie. Est-ce que j'étais vraiment devenu un joueur en dan ?
Je ne compris que bien plus tard. Oui, j'étais bien un joueur en dan. Au Japon. Et c'est là une nuance dont je ne me serais jamais douté. L'échelle de niveau amateur du Japon est différente de celle d'autres pays, la France par exemple. Parce qu'au Japon des gens vivent du Go, il faut bien vendre quelque chose aux quelques joueurs qui arpentent les salons. Alors pour obtenir un certificat de premier dan il faut débourser une certaine somme, et si le niveau d'un premier dan amateur était le même que celui d'un premier dan en Europe, cela ne viendrait pas beaucoup remplir les caisses de la fédération.
Mais cela ne vient en rien ternir l'émotion que j'ai pu ressentir ce jour là. Pouvoir me dire shodan était l'accomplissement d'un rêve d'adolescent, et un autre allait bientôt devenir réalité...
LA SUITE : STAGE DE GO À LA NIHON KI-IN
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